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Penser des environnements capacitants pour conduire le changement

L'apport de l'ergonomie à la conduite du changement.

La notion d’environnement capacitant a été explorée par la recherche en ergonomie. Je reviens ici sur cette notion, et donne un exemple d’entreprise dans laquelle un changement important risque de fragiliser les fondements organisationnels favorables à la mise en place d’un environnement capacitant.

La santé au travail : une construction dynamique

La santé au travail est considérée en ergonomie non comme une donnée figée qu’il faudrait maintenir et protéger, mais comme quelque chose qui se construit : « les bonnes conditions de travail sont celles qui donnent au travailleur la liberté de construire une activité de travail favorable à la santé » (Gollac et Volkoff, 2010).

A ce titre, c’est bien l’interaction entre le sujet et son environnement, et non l’action unilatérale de l’un sur l’autre, qui est vecteur de développement ou au contraire de dégradation de la santé : « ce n’est pas le sujet en soi qui porte le risque, ni non plus le réel, l’environnement : c’est l’interactivité du sujet et du réel » (Hubault, 2011).

Un modèle d’analyse de la santé au travail en 3 dimensions

Dans la lignée de ces travaux , un modèle de la santé au travail est repris dans l’article de Pavageau &al (2007) : la santé est considérée dans ce modèle comme le résultat d’un équilibre entre l’utilisation des ressources physiques et mentales et la reconnaissance sociale qui en découle. Chaque axe du modèle correspond à l’une des trois possibilités de construction de la santé au travail :

  • Le premier axe a trait à la qualité de la mobilisation des ressources des opérateurs : est-ce que l’opérateur est trop mobilisé (avec le risque de surcharge) insuffisamment (avec le risque d’ennui) ?
  • Le second à la reconnaissance des efforts mis en œuvre par les opérateurs : le travail est-il reconnu, par les collègues, la hiérarchie, y compris sous forme symbolique ?
  • Le troisième axe s’articule autour des possibilités de progression des compétences : est-ce que mon activité contribue à développer mes compétences ?

Être dans un environnement capacitant signifie être dans la « bonne » zone de ces 3 axes.

Environnement capacitant

Un environnement capacitant est un environnement technique, social et organisationnel qui fournit aux individus l’occasion de développer de nouveaux savoir-faire et de nouvelles compétences, d’élargir leurs possibilités d’action, leur degré de contrôle sur leur tâche et leurs modes opératoires, c’est-à-dire leur autonomie (Falzon, 2005).

  • Du point de vue préventif, un environnement capacitant (EC) est « un environnement non délétère pour l’individu, qui préserve les capacités futures d’action » (Fernagu Oudet, 2007) grâce à la détection et la prévention des risques.
  • Du point de vue universel, un EC est « un environnement qui prend en compte les différences interindividuelles [âge, genre, caractéristique anthropométriques…] et qui compense les déficiences individuelles (liées au vieillissement, à la maladie, aux incapacités) », c’est donc un « environnement qui prévient l’exclusion, les décrochages sociaux et générationnels et le non-emploi » (Ibid.).
  • Du point de vue développemental, un EC est un environnement qui permet le développement de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs, grâce notamment au développement de l’autonomie.

Etude de cas dans une entreprise industrielle

Cette entreprise se transforme afin de faire face aux évolutions contextuelles, des projets opérationnels se déclinent dans différents secteurs de l’entreprise. L’intervention a lieu dans le cadre du déploiement de l’un d’entre eux.

Les facteurs de risque identifiés 

Nous identifions un certain nombre de facteurs qui risquent d’avoir un impact sur la construction de la santé au travail :

  • Une évolution de l’environnement physique de travail et des déterminants temporels de l’activité : passage du papier au numérique, arrivée de nouvelles données d’entrée en temps réel …
  • Repartir de zéro », développer de nouvelles habitudes de travail, avec des moyens pour la formation et le support encore insuffisamment précisés ;
  • Travailler avec de nouvelles interfaces insuffisamment articulées : nécessité de s’interfacer beaucoup plus avec les secteurs amont et aval, en particulier pour gérer les évolutions du produit
    • sans bien connaître leurs contraintes et besoins,
    • Et avec des moyens pour se coordonner et s’interfacer à construire ;
  • Appréhender de nouveaux rôles et processus insuffisamment matures ;
  • Pendant la période de transition, travailler dans plusieurs systèmes d’information en fonction des projets / produits ;
  • Travailler dans un système que l’on ne connaît pas dans sa globalité.

Conclusion sur la conduite de projet

Nous montrons que si la conduite de projet se poursuit selon les mêmes modalités, l’environnement de travail de demain sera insuffisamment capacitant, avec des conséquences potentielles sur la santé et le vécu individuel et collectif.

Les axes les plus en tension sont la mobilisation des ressources, déjà très importante pour une bonne partie des salariés, et la construction des compétences qui sera rendue très difficile dans un environnement avec beaucoup de « zones d’ombres », un manque de référentiel commun.

En revanche, un point d’appui est l’axe de la reconnaissance des efforts développés : en effet les salariés lorsqu’ils sont moteurs et impliqués dans les changements en cours se sentent davantage reconnus.

Bibliographie

Gollac, M., Volkoff, S., (2010, 2e tirage). Les conditions de travail. Paris : La Découverte.

Falzon P. (2005), “Ergonomics, knowledge development and the design of enabling environments”, Humanizing Work and Work Environments, Guwahati, India.

Hubault, F. (2011). Risques psychosociaux, troubles psychosociaux, charge psychosociale…. Questions de travail. Dans Hubault, F. (Ed),  Risques psychosociaux : quelle réalité, quels enjeux pour le travail. Actes Séminaire Paris 1, 8-10 Juin 2009. Toulouse : Octarés.

Solveig Fernagu Oudet, « Concevoir des environnements de travail capacitants : l’exemple d’un réseau réciproque d’échanges des savoirs », Formation emploi [En ligne], 119 | juillet septembre 2012, mis en ligne le 30 septembre 2012. URL : http://formationemploi.revues.org/3684 

Pierre Pavageau, Adelaide Nascimento et Pierre Falzon, « Les risques d’exclusion dans un contexte de transformation organisationnelle », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé [En ligne], 9-2 | 2007, mis en ligne le 01 octobre 2007