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Le droit du travail à l'épreuve des plateformes numériques

Le droit social au risque de l’ubérisation

Cette conférence s'est tenu lors de l’université d'été pluridisciplinaire sur « Travail et Innovations » qui s’est tenue à Bordeaux du 2 au 6 juillet 2018. Thomas Pasquier est professeur en Droit.

Le thème de la conférence est la numérisation de la relation de travail, autrement dit, l’intermédiation par le biais d’un outil numérique ...ou plus simplement "l'uberisation" de la relation de travail.

Evolution des technologies et questions posées au droit social

L’introduction du numérique dans la relation de Travail, a débuté dans les années 80 avec l’ordinateur. De premières questions doctrinales sont apparues, sur le sens, la portée de l’introduction de cet outil, avec le désormais traditionnel débat sur la disparition du travail.

La question a été renouvelée dans les années 90/2000, avec l’introduction des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) : courriels, fichiers numériques, dossiers numériques … Sont alors apparus des contentieux en lien avec les échanges de mails, en particulier des questions sur le cloisonnement entre vie personnelle et professionnelle.

En 2010, une 3e étape a concerné les données personnelles : peut-on géolocaliser les salariés ? Avoir des données sur eux, qui servent à la prise de décision pour les employeurs ?

Enfin il y a eu un véritable renouvellement de la question avec l’essor des plateformes numériques : c’est un nouveau mode de coordination des activités, qui fonctionne avec un tiers garant, la plateforme, et un Système d’Information qui permet de coordonner les activités.. Du point de vue du droit, cela a réinterrogé la délimitation des frontières de la subordination, car seul le travailleur qui est qualifié de travailleur subordonné relève du champ d’application du droit du T.

Les bouleversements induits par les plateformes numériques

Les plateformes bousculent 2 axiomes dans le droit du travail :

  • Là où il y a du travail subordonné, il y a du profit, et inversement. Une plateforme numérique perturbe cela, car :
    • Il peut y avoir du travail sans profit ; par exemple, au début, Uber est né dans l’économie collaborative 
    • Il peut y avoir du profit sans travail : autre exemple, air bnb permet la valorisation d’un bien, et non d’un travail (même si en réalité il y a du travail caché).
  • Uber invite à dépasser la vision très tayloriste de l’entreprise inhérente au droit du travail, et à envisager l’entreprise comme un dispositif de coordination des activités, qui repose non sur le pouvoir hiérarchique, mais sur un pouvoir d’évaluation.

Un travail « COCOCO » Collaboratif - Coordonné - Co déterminé

  • Un Travail Collaboratif ? Il est très intéressant de voir les discours produits par les applications elles-mêmes, avec la promotion de l’anti-salariat : le travailleur est son propre patron.
  • Coordination des activités : le logiciel met en relation un client et un prestataire ; la plateforme qui ne fait que coordonner ces activités.
  • Co-détermination : il y a un vrai contrôle sur les prix, avec un pourcentage pris par la plateforme. Il y a aussi des obligations imposées au chauffeur Uber, en termes de véhicule, de comportements, qui sont accompagnés de la double évaluation :  le client évalue et le prestataire aussi évalue le client ! Donc l’algorithme alimente la prise de décision par exemple lorsque l’accès est fermé à un client, sur la base de ces évaluations.

 En quoi se rapproche-t-on d’une situation de salariat ?

Le lien de subordination est aujourd’hui le critère de qualification du contrat de travail salarié. Il y a eu des évolutions : par exemple le médecin jouit d’une indépendance, mais il peut être salarié : il est libre dans l’exercice de son art, mais intégré dans l’organisation d’autrui.

Le chauffeur Uber est souvent en auto entreprise, mais est-il maitre de sa clientèle ? de ses horaires ? a-t-il une clientèle ? ... Non ! Son client c’est la plateforme, et la clientèle est attaché à la plateforme … : les chauffeurs travaillent à profits partagés.

Un algorithme peut-il être le patron ? Si Uber prend une décision en se basant sur l’algorithme, est-ce légitime ? Selon la Justice Européenne, Uber est un prestataire de transport, une organisation dans laquelle s’intègrent les chauffeurs, un système de coordination qui équivaut à une entreprise au niveau du droit :  donc on pourrait considérer que les chauffeurs sont salariés et avoir une requalification et une application du droit du travail.

Le champ du droit du travail, qui s’intéresse au rapport de travail subordonné, pourrait donc évoluer :

-          En considérant que dès qu’on travaille au profit d’autrui on est salarié 

-          En s’appliquant dans le cadre d’un travail à profit partagé, pour appliquer le droit du T à des travailleurs indépendants

-          En envisageant un droit du travail gratuit, émancipé de la logique du profit