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Entreprises libérées : quelques précautions

« Entreprise libérée », décisions au plus près du terrain, augmentation de l’autonomie et des responsabilités … Ces sujets sont au cœur de l’actualité des entreprises, pour preuve les démarches Qualité de Vie au Travail mettent au centre la possibilité donnée à chacun de s’exprimer et d’agir sur son travail.

C’est une excellente chose ! Tout le monde a en tête Charlot sur la ligne d’assemblage, qui n’a aucune maîtrise de sa situation de travail. Les recherches sur le stress au travail ont depuis longtemps montré l’importance de l’autonomie dans la construction de la santé. Ces nouvelles manières de penser et d’organiser le travail sont donc bénéfiques pour les collaborateurs et l’entreprise, via la prise d'initiative, l’innovation qu’elles favorisent.

Toutefois, les organisations qui veulent tendre vers ce type de modèle doivent avoir conscience d’un certain nombre de phénomènes en lien avec ces modalités d’organisation. Au regard d’interventions réalisées, je propose ci-dessous de revenir sur quelques bénéfices des organisations hiérarchiques, non pas pour convaincre de la nécessité de rester sur de tels modèles, mais pour bien penser les modalités d’une organisation plus transversale.

Les besoins à prendre en compte dans une organisation moins hiérarchique

Soutenir les arbitrages

Dans une organisation hiérarchique, les collaborateurs peuvent prendre certaines décisions à leur niveau, mais un certain nombre de sujets sont remontés à la hiérarchie, qui arbitre ; cela peut concerner des décisions à prendre vis-à-vis d’un client externe, des arbitrages entre deux entités de l’entreprise … Dans les cas extrêmes, ces organisations peuvent être totalement déresponsabilisantes pour les collaborateurs qui s’en remettent systématiquement à la hiérarchie dès que les enjeux ou la complexité deviennent importants.

Dans une organisation transversale, moins hiérarchique, ces arbitrages ont vocation à se faire au maximum « au niveau adapté de l’organisation », en ne remontant à la hiérarchie que ce qui le nécessite vraiment. C’est une des illustrations du principe de subsidiarité (cf. travaux de Elinor Ostrom ) selon lequel « à chaque échelon ses pouvoirs » : selon ce principe certaines décisions doivent être prises par les acteurs de terrain, concernés par l'activité et non par des "décideurs" éloignés du travail réel. Ce gain d’autonomie est très favorable du point de vue de la santé et de la performance organisationnelle, néanmoins  :

  • Ce mode de fonctionnement entraîne pour les collaborateurs une augmentation de la charge mentale : par exemple pour apprendre à connaitre ses interlocuteurs dans l’organisation, leurs fonctions, maîtriser le processus de décision propre à chaque sujet, etc.
  • Les habiletés en termes de relation humaine deviennent essentielles : comment négocier, arbitrer tout en conservant de bonnes relations avec ses collègues.
  • Le travail doit être plus coopératif. Cela nécessite pour chacun d’avoir un réseau dans l’entreprise, une légitimité reconnue.

Développer la reconnaissance

Même s’il y a de grandes marges de progrès concernant la reconnaissance dans les entreprises, c’est bien le rôle de la hiérarchie, du management de proximité jusqu’à la direction de reconnaître le travail des collaborateurs : de manière symbolique (encouragements, félicitations), matérielle (augmentation), ou en proposant des parcours professionnels.

Si la hiérarchie est moins présente, voire s’il n’y a pratiquement plus de hiérarchie, comment peut se faire cette reconnaissance ?  D'autres formes sont à inventer.

D’autre part les habiletés précédemment décrites, cognitives et relationnelles, doivent pouvoir faire l’objet d’une reconnaissance, même si ces aspects sont difficiles à quantifier et à évaluer.

Quelques pistes d'actions pour mettre en oeuvre une organisation transversale 

Afin de mettre en place une organisation « responsabilisante  » qui soit réellement vectrice de santé et de performance organisationnelle, voici quelques pistes de réflexions et d’actions qui pourront être explorées :

1/ Faire un diagnostic sur la prise de décision.

Qui décide de quoi ? Quels sont les processus décisionnels ? Quels sont les contournements actuels pour accélérer les prises de décision ?

Qu’est-ce qui fonctionne bien ? Qu’est-ce qui doit être amélioré ?

2/ Avec des représentants des acteurs concernés, prévoir la nouvelle organisation.

C'est un changement important pour lequel vous pouvez vous faire accompagner ; dans tous les cas il est primordial d’y inclure des représentants des collaborateurs, et de prévoir les changements en s’appuyant sur les situations de travail réelles actuelles.

Les nouvelles formes de reconnaissance peuvent être discutées à ce stade.

3/ S'assurer que chacun a les compétences nécessaires

Plus précisément il faut vérifier que chaque groupe et individu possède les habiletés et connaissances de l’organisation (acteurs, processus …)  nécessaires et suffisantes pour arbitrer à son niveau.

Si besoin, du coaching individuel ou d’équipe pourra être un atout ; le partage de bonnes pratiques, l’analyse de pratiques entre pairs sont également des outils performants pour progresser de façon collective et individuelle.

4/ Prévoir des alternatives pour résoudre les sujets complexes et les situations de tensions relationnelles.

Les cas nécessitant d’être remontés à la hiérarchie doivent être spécifiés, les collaborateurs ont besoin d’être rassurés sur le fait de pouvoir remonter un certain nombre de problèmes : le cas échéant le risque est que les problèmes restent « en bas » et « tournent en rond », et qu’ils soient remontés à la hiérarchie trop tardivement pour permettre une résolution efficace.

Les situations de tensions interpersonnelles, entre collègues, pourraient quant à elles être traitées non via la voie hiérarchique, mais grâce à une médiation, hors hiérarchie.