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Le manager papillon ou les effets de la multi-activités

La charge mentale

La fatigue nerveuse touche toutes les catégories de travailleurs

Ce sujet est aujourd’hui une réalité dans les entreprises ; selon le baromètre de Malakoff Méderic 2018 paru jeudi 20 septembre 2018 , « 68 % des salariés jugent leur travail nerveusement fatigant[…]. Parmi les raisons invoquées : 40 % des salariés ont du mal à gérer leurs priorités (contre 30 % en 2010). […] et 29 % des salariés indiquent être interrompus régulièrement, ou avoir un travail haché ».

Traiter ce sujet rentre dans le cadre de la prévention des risques psychosociaux.

Les managers au cœur de la gestion des priorités

Les managers, encore plus que les autres catégories de travailleurs, doivent souvent réaliser plusieurs activités en parallèle, ce qui peut avoir des effets importants sur leur bien-être (fatigue, effort de concentration à fournir, ruminations …), et sur leur activité managériale (manque de disponibilité auprès des collaborateurs).

Je propose ici de formuler de premières hypothèses sur les déterminants de la multiactivité chez les managers, issues de mes interventions en entreprise à leur côté.

Des sollicitations multiples et concurrentes

Le manager est à l'interface de sa hiérarchie et de ses collaborateurs

A minima le manager est sollicité à la fois par sa ligne hiérarchique et par ses collaborateurs ; s’ajoutent bien souvent des interfaces avec les autres services de l’entreprise, les clients, fournisseurs, partenaires extérieurs … Chacun ayant son niveau d’exigence, avec des demandes aux degrés d’urgence variables, mais souvent élevés.

Les joies des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC)

Ces sollicitations arrivent aujourd’hui par de multiples canaux de communication ,  en lien avec l’essor des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) : téléphone (fixe et portable) et mail à minima, auxquels s’ajoutent parfois des messageries d’entreprise.

Sur le fond ces sollicitations portent leur lot de contradictions comme des injonctions à être proche du terrain, et en parallèle la sollicitation à de multiples réunions qui empêchent précisément d’être proche du terrain.

La « saturation de l’environnement par ces sollicitations multiples et concurrentes » (Bidet, 2011) est un facteur majeur de la charge mentale des managers aujourd’hui.

Le manager producteur

Le manager variable d'ajustement ?

Les managers sont souvent issus du terrain, et même si ce n’est pas le cas ils sont en mesure de réaliser un certain nombre d’activités que font leurs collaborateurs.

Différents cas de figure sont possibles comme :

  • Soit il est formellement prévu que le manager effectue effectivement certaines missions, tâches identiques à celles de ses collaborateurs, il est « compté dans les effectifs » en mesure d’assurer la production.
  • Soit ce n’est pas prévu formellement, mais il va jouer le rôle de « variable d’ajustement », lorsque des collaborateurs sont absents par exemple.

Le travail de terrain : un refuge pour le manager ?

J’ai travaillé récemment avec deux managers (d’une 15aine de personnes environ) dans le cas 1/, travaillant dans deux secteurs d’activité totalement différents, et leur constat était qu’il fallait qu’ils sortent de cette activité de production pour pouvoir mener à bien leur activité managériale.

Toutefois, force était de constater que ce travail de production, s’il s’affichait comme un moyen (réel) de conserver le contact avec le terrain, était aussi pour eux un « refuge », autrement dit l’occasion pour eux de renouer avec :

  • Une pratique concrète avec des résultats plus tangibles que l’activité managériale dont les issues sont souvent invisibles : beaucoup de managers ont souvent l’impression d’avoir « brassé du vent » une journée entière alors qu’ils n’ont pas arrêté de courir.
  • Une activité avec un périmètre plus délimité, alors que celui du manager est souvent extensible.
  • Une activité pour laquelle ils avaient de l’expérience, des compétences, en lien souvent avec leur formation initiale, quelque chose de rassurant, alors que les activités du manager peuvent être source d’anxiété, de par leur multiplicité et parfois leur complexité.

Une multitude de projets dans lesquels il est impliqué

Projets RH et qualité de vie au travail

Le management passe souvent par l’implication dans des projets liés à l’amélioration des conditions de travail, des processus RH

J’ai par exemple beaucoup travaillé avec le manager  d’un service sur les sujets organisationnels pour lesquels j’avais été missionnée, puis j’ai découvert que ce même manager travaillait (sans doute avec le même niveau d’implication) avec un consultant RH sur les sujets des fiches de poste et du recrutement (sujet que nous abordions également dans ma mission) et un consultant sur le climat de travail au sein de l’équipe (sujet qui était directement en lien avec les sujets organisationnels que je traitais).

Un manque de coordination entre les différents projets en cours

Ce manager travaillait donc sur des sujets qui se recoupaient, mais traités dans 3 processus différents, avec des interlocuteurs différents … multipliant ainsi sa charge de travail.

J'ai également observé ce phénomène à l'échelle d'une grande entreprise de services, qui a lancé de nombreux projets afin de se moderniser : avec des moyens de régulation inter projets insuffisamment performants, voire pas du tout présents, les managers étaient tous conscients que des sujets pouvaient être traités par exemple dans deux projets, qu'un projet aurait pu aller plus vite s'il avait eu connaissance de ce qui se passait dans un autre projet ...

Le manager papillon : acteur de ses choix ou victime de l’organisation ?

Un sujet acteur ...

Selon la théorie du sujet acteur (héritée de la psychologie sociale et des travaux de Philippe Malrieu), ces cadres, me semble-t-il, font les choix qui leur semblent les meilleurs, ou tout du moins « les moins mauvais », au moment où ils les font.

... à qui il faut proposer un environnement de travail adéquat

La volonté par exemple de poursuivre la production est assumée, mais on peut en dire autant de la réponse aux multiples sollicitations : parfois, répondre à ses mails va paraître à juste titre moins coûteux que de réfléchir aux modalités d’animation et d’organisation de son équipe, et comme de toute façon « il faut bien y répondre », le manager va faire ses propres choix … Même si dans un autre environnement, moins sollicitant, il aurait sans doute pris grand plaisir à se poser et réfléchir à des sujets de fond.

 

Bibliographie

Alexandra Bidet, « La multiactivité, ou le travail est-il encore une expérience ? », Communications 2011/2 (n°89), p. 9-26.