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Souffrance au travail : apports de la psychodynamique

Jeudi 29 mars 2018 la Société de Médecine du Travail de Midi-Pyrénées organisait à Toulouse une journée sur la psychodynamique, une discipline qui permet d’aborder les questions de souffrance au travail sous un angle qui a été abondamment théorisé notamment par le psychiatre et psychanalyste Christophe Dejours.

Je propose de synthétiser ici quelques concepts présentés lors de cette journée par Antoine Duarte, psychodynamicien ; ces concepts mobilisés lors d’une enquête en psychodynamique peuvent également être utiles à chacun d’entre nous pour appréhender les liens entre travail et santé mentale.

Apports de l'ergonomie à la psychodynamique

La psychodynamique s’intéresse au Travail, dans une conception très différente de celle de l’emploi : il englobe l’activité salariée, rémunérée, mais aussi les tâches domestiques, les activités bénévoles … Ce qui est commun à toutes ces activités, c’est l’engagement de soi, au sens du corps et de la subjectivité dans ce que l’on fait.

La psychodynamique puise ainsi dans la psychanalyse, mais aussi dans l’ergonomie.

A l’ergonomie, elle doit la reconnaissance de l’écart entre le travail prescrit et le travail réel ; cela veut dire que si nous nous contentons d’appliquer et de faire ce qui nous est demandé (prescrit) dans le travail, nous n’atteindrons jamais le niveau de qualité, de performances attendu (par nous et par nos prescripteurs). Nous faisons toujours faire appel à notre intelligence, notre expérience individuelle et collective, pour faire le travail qui nous est demandé, en prenant des initiatives, mettant en œuvre des « petits trucs », auxquels les prescripteurs ne sauraient penser parce qu’ils ne sont pas dans « le travail réel ». Par exemple la machine que l’on connait bien et qu’il faut manier d’une certaine façon pour ne pas qu’elle se bloque, le client envers qui on a de petites attentions parce qu’on le connait bien et qui permettent d’entretenir la relation de confiance avec lui …

Aussi, du fait de cet écart entre « ce qui est prévu » et « ce qui arrive vraiment », nous sommes tous à un moment ou à un autre amené à « rater », à nous trouver en situation d’échec. Nous ne saurions répondre à tous les imprévus du premier coup sans nous tromper! Ce sont des moments ou nos habiletés, nos savoir-faire ne suffisent pas.

De la souffrance au plaisir au travail

Toujours selon l’approche psychodynamicienne, ce qui nous met en échec dans ces moments-là va générer de la souffrance (de ne pas y arriver, de ne pas savoir comment s’y prendre …) : en cela la psychodynamique dit qu’il n’y a pas de travail sans souffrance, mais de ce que je comprends il ne faut pas entendre ce terme comme l’expression d’un mal incurable, profond et surtout sans issue.

En effet, selon cette approche, c’est la souffrance qui va être l’élément déclencheur de la mobilisation de l’intelligence : lorsque nous sommes en difficulté (en "souffrance") une idée, une phrase, un geste nous vient sans que nous ne l’ayons planifié, et vient débloquer une situation. C’est par exemple en réunion alors que les échanges tournent en rond, la bonne phrase au bon moment que l’animateur prononce pour relancer les débats sur un mode plus constructif : il ne l’a pas planifié, mais face à la situation d’échec dans laquelle il se trouve, il trouve le bon sujet, la bonne méthode pour donner un tour nouveau à la réunion. C'est alors que l'on passe du vécu de la souffrance à celui du plaisir : de s’être sortis de la situation difficile, et d’arriver au niveau de qualité que nous souhaitions atteindre.

En revanche, lorsque l’on n’est pas en situation de mobiliser cette intelligence, alors la souffrance peut devenir pathogène, et avoir des conséquences sur notre humeur, nos comportements (agressivité…), jusqu’à notre santé lorsque cette situation dure (dépression par exemple).  Une autre issue empruntée parfois est celle du retrait, de la baisse d’engagement lorsqu’il n’est plus possible de mobiliser son intelligence parce que l’organisation nous en empêche, par le manque d’autonomie qu’elle nous accorde  : « je ne peux prendre aucune initiative pour que ça se passe mieux, alors s’ils s’en fichent que je fasse le minimum et bien je vais faire le minimum et ils verront bien ».

Le psychodynamicien dans son enquête analyse pourquoi la souffrance propre à toute situation de travail ne peut se transformer en plaisir, autrement dit qu’est-ce qui bloque l’émergence de l’intelligence. Et quand cela marche, pour citer le conférencier, « l’activité de travail devient prodigieuse sur le plan de la santé mentale », et participe de la construction de l’identité, renforce l’estime de soi, etc.

Bibliographie

Dejours, C. Travail, usure mentale. 4 rééditions depuis 1980.